
Bonjour !
Ce soir j'ai entendu Philippe de Villiers, monsieur que je ne connaissais pas, dire de grosses bêtises pendant la promo de son livre sur Europe 1. Cependant je ne souhaite pas me concentrer sur la reprise de tout ce qu'il a dit – d'autres le feront bien mieux que moi – toutefois j'ai remarqué une constante dans ses arguments : il construit l'Autre. Il construit une image de "l'ennemi", une image d'attardé, une image de sauvage, de barbare face à la civilisation que nous représentons (le "nous" étant adaptable à chaque pays, forcément, ce qui fait de son argumentaire un très bon kit de la xénophobie : y'a plus qu'à tout assembler, c'est magique !). Je suis très remontée. D'autant que les journalistes y sont quand même allé mollo (d'un autre côté l'autre il arrêtait pas de parler), et que je ne peux pas gueuler parce que je me suis fait arracher des dents (du coup je suis frustrée) (c'est moi la sauvage xD). Bref. La construction de l'ennemi, donc.
Notre prof de Médiévale nous a dit que, au Moyen Âge, on ne prend pas la plume pour aucune raison, parce que le papier ça coûte cher, donc quiconque écrit quelque chose a un but très précis. Je crois que finalement ça n'a beaucoup changé aujourd'hui... On n'écrit pas si on n'a rien à dire, si l'on n'a pas un objectif précis, qu'il soit introspectif ou pas. Et ce monsieur construit l'image de l'ennemi. Et moi j'ai envie de la déconstruire (parce que je me crois plus maligne que tout le monde ;P), ce que j'ai déjà un peu fait dans mon message sur Hellocoton que certains ont dû voir :)
En gros, il y avait deux groupes d'imaginaires de l'ennemi : la violence et l'attardement.
D'abord (enfin, je ne me souviens plus de l'ordre, donc ça sera mon "d'abord") il a dit que le djihad était une conquête, et que les musulmans voulaient conquérir le monde par la violence (en citant des passages du Coran en plus, il n'est pas gêné !). Alors bon... déjà le djihad, à la base, c'est aussi un combat contre soi-même et une conquête de soi-même et, ensuite, les chrétiens aussi, contrairement à ce que semble croire ce monsieur, ont voulu conquérir le monde par la violence : décision de Charlemagne de faire des conversions forcées et de détruire des lieux sacrés des païens, croisades, Inquisition, révocation de l'Édit de Nantes par Louis XIV (liste non exhaustive). On continue : il a dit qu'en France on étourdit les animaux avant de les tuer et que donc, eux qui les égorgent, sont, de manière sous-entendue (ce serait con de se prendre un procès pour diffamation au passage), des sauvages (sauf qu'il a oublié que bien souvent l'étourdissement rate, mais ça doit être un détail : ce sont les intentions qui comptent, comme on dit). Dans le même ordre d'idée il a avancé l'exemple que, en France, on ne bat pas les femmes. Ah ? Ah bon ? Ah... Pourtant il me semblait bien que l'on était à une mort de femme battue par son conjoint toutes les quatre-vingt-dix secondes. Du coup il y a deux solutions : soit il ne sait pas ce qu'il dit, soit seuls les musulmans battent leur compagne en France. Je vous laisse juge.
Si on suit ce qu'il dit, les musulmans sont violents, barbares, sauvages, incontrôlables, dégénérés. Mais, en plus, attardés. Attardés parce qu'ils ne tuent pas les animaux de manière civilisée et puis attardés, surtout, parce que, "en France on ne porte pas des vêtements du VIIème siècle". Ah (bis). Il se trouve que pour les besoins d'un cours j'ai commencé la lecture de Une histoire politique du pantalon par Christine Bard : les Gaulois portaient des braies, les Mérovingiens et les Carolingiens des pantalons, que le pantalon existait même sous les Romains et les Grecs mais qu'ils n'aimaient pas en porter car c'est un vêtement fermé. On ne porte pas des vêtements du VIIème siècle, en France ? ah bon ? ;P (c'est moche de dire des bêtises, et c'est encore plus moche de les faire croire à des gens).
En fait, ici, on est typiquement dans une construction de l'imaginaire autour de l'ennemi, dans la mise en place des peurs, des murs entre les gens. On est typiquement en train de dire : nous sommes civilisés, nous sommes justes, nous sommes attaqués par des barbares. Les Grecs faisaient pareil. En archéologie on voit actuellement comment les Grecs buvaient et mangeaient. La prof nous a dit que les Grecs dévaluaient les barbares parce qu'ils buvaient du vin pur alors qu'eux le diluaient avec le l'eau, que les barbares se gavaient alors qu'eux mangeaient avec parcimonie et frugalité (en même temps vu ce qui poussait chez eux ils n'avaient pas vraiment le choix). On n'a rien inventé et on est typiquement là-dedans : cet étranger qui ne mange pas de porc n'est pas intégré, il doit vivre à la française, c'est un barbare, il faut le convertir à une certaine vision de la vie. On ne pourra jamais s'entendre avec lui ; il est trop différent, trop bête, en retard. Attardé.
Comme une dame est actuellement (21h17) en train de le dire : "eux et nous".
Comme une dame est actuellement (21h17) en train de le dire : "eux et nous".
Alors je vais avancer d'autres arguments, en puisant aussi dans le Coran, histoire d'être à armes égales dans cette guéguerre un peu bête qui consiste à sélectionner les passages qui nous arrangent. Marie m'a laissé un commentaire il y a quelques jours sur mon article L'islam, le christianisme, et la république, en me disant ceci (je me permets de citer parce que c'est un commentaire à la vue de tous et pas un mail privé) : "[...] il est recommandé notamment de se soumettre aux lois de cette société [non musulmane] dans la mesure où ces lois ne sont pas contraires aux préceptes de l'Islam [...] dans un sens beaucoup plus large qu'on a du mal à se représenter dans l'état de droit que nos générations (la tienne et la mienne) ont toujours connu en France. Ça concernerait des lois véritablement injustes, comme les mesures anti-juives de Vichy, par exemple. Ou bien des lois qui obligeraient les gens à renier leur religion, comme sous l'Inquisition, ou dans la Rome antique où les Chrétiens étaient torturés à mort pour avoir refusé d'offrir des libations aux Dieux officiels [...]".
Combien de femmes et d'hommes musulmans s'habillent "à l'Occidentale" ? Et puis d'abord quel est le problème de s'habiller différemment ? On ne parle pas d'assimilation, de renier complètement ses origines, sa culture, on parle d'intégration. Ça n'a rien à voir.
On est dans la construction d'un univers mental, d'un ennemi. On a fait pareil pendant les deux Guerres Mondiales : attention aux Allemands qui coupent les mains ! Il y avait tout un imaginaire autour des mains coupées, vraiment. Barbarisation, animalisation. Classique. Et tellement dangereux.
Parce que, finalement, le pire ce n'est pas ce que dit ou écrit ce monsieur. Le pire c'est que des gens vont l'écouter, vont le lire, et vont le croire. Oui, après tout, qui n'a jamais vu une personne d'origine arabe en djellaba dans la rue ? Après de tels propos on peut être tenté de ne voir que ça, de se dire qu'il y en a de plus en plus... en un sens c'est peut-être vrai : ma mère dit que, il y a dix ans, il n'y avait pas autant de mères voilées qui venaient chercher les enfants à son école. La faute à qui ? Aux imams qui tiennent des propos un peu limites ? Ou aux raisons politiques qui font que ces propos limites sont entendus ? Ou un peu des deux ? (édit. 18/10/2016 : je me suis rendue compte que je n'avais pas été assez précise et que ça pouvait être mal interprété : je n'ai rien contre le voile, mais ici ça s'accompagne d'une espèce de communautarisme puisque quand des mères ont appris qu'une autre mère était mariée à un Français "pure souche" si je puis dire, elles ont apparemment arrêté de lui parler).
Bref. On est ici typiquement dans la construction de l'image de l'ennemi, dans la proposition d'un paradigme de césure (eux et nous ; eux les barbares, nous les civilisés qui buvons du vin (vin qui vient d'Asie soit dit en passant) et mangeons du porc)), qui se construit totalement dans la mauvaise foi et dans la mauvaise foi la plus totale.
Non, tous les musulmans de France et d'ailleurs ne sont pas radicalisés, non tous les musulmans de France et d'ailleurs ne sont pas des sauvages, des barbares, ne battent pas leur compagne, ne portent pas des djellabas, ne veulent pas convertir le monde entier.
Qu'en pensez-vous ?
Source photo – AFP
Combien de femmes et d'hommes musulmans s'habillent "à l'Occidentale" ? Et puis d'abord quel est le problème de s'habiller différemment ? On ne parle pas d'assimilation, de renier complètement ses origines, sa culture, on parle d'intégration. Ça n'a rien à voir.
On est dans la construction d'un univers mental, d'un ennemi. On a fait pareil pendant les deux Guerres Mondiales : attention aux Allemands qui coupent les mains ! Il y avait tout un imaginaire autour des mains coupées, vraiment. Barbarisation, animalisation. Classique. Et tellement dangereux.
Parce que, finalement, le pire ce n'est pas ce que dit ou écrit ce monsieur. Le pire c'est que des gens vont l'écouter, vont le lire, et vont le croire. Oui, après tout, qui n'a jamais vu une personne d'origine arabe en djellaba dans la rue ? Après de tels propos on peut être tenté de ne voir que ça, de se dire qu'il y en a de plus en plus... en un sens c'est peut-être vrai : ma mère dit que, il y a dix ans, il n'y avait pas autant de mères voilées qui venaient chercher les enfants à son école. La faute à qui ? Aux imams qui tiennent des propos un peu limites ? Ou aux raisons politiques qui font que ces propos limites sont entendus ? Ou un peu des deux ? (édit. 18/10/2016 : je me suis rendue compte que je n'avais pas été assez précise et que ça pouvait être mal interprété : je n'ai rien contre le voile, mais ici ça s'accompagne d'une espèce de communautarisme puisque quand des mères ont appris qu'une autre mère était mariée à un Français "pure souche" si je puis dire, elles ont apparemment arrêté de lui parler).
Bref. On est ici typiquement dans la construction de l'image de l'ennemi, dans la proposition d'un paradigme de césure (eux et nous ; eux les barbares, nous les civilisés qui buvons du vin (vin qui vient d'Asie soit dit en passant) et mangeons du porc)), qui se construit totalement dans la mauvaise foi et dans la mauvaise foi la plus totale.
Non, tous les musulmans de France et d'ailleurs ne sont pas radicalisés, non tous les musulmans de France et d'ailleurs ne sont pas des sauvages, des barbares, ne battent pas leur compagne, ne portent pas des djellabas, ne veulent pas convertir le monde entier.
Qu'en pensez-vous ?
Source photo – AFP