
Bonjour !
Ce matin j'ai entendu parler à la radio de cette brochure qui allait être publiée pour aider les parents à gérer la prise d'alcool de leurs adolescents, d'autant plus importante dans le contexte du binge drinking. En gros ça tient en trois points : pas d'alcool avant quinze ans, même si on ne fait que tremper les lèvres, boire pas plus de deux verres sous la surveillance des adultes pour les ados de seize, dix-sept ans quand les soirées sont à la maison et pas d'alcool à l'extérieur ou alors que l'adulte soit là au retour, et ensuite, dix-huit à vingt-et-un ans, autonomie avec l'alcool et possibilité de passer la nuit à l'extérieur. Depuis que j'ai entendu ça je suis sceptique et désabusée.
Je pourrais résumer par deux mots : essayez encore. C'est une bonne idée de vouloir faire en sorte que les jeunes se responsabilisent face à l'alcool, qu'ils boivent moins, de s'assurer qu'ils connaissent les risques (d'où les interventions des policiers dans les collèges et lycées), mais j'aimerais bien savoir quel est l'adulte responsable qui a eu l'idée de ces trois points parce qu'ils sont à dix-mille lieues de la réalité de ce qu'il se passe. Et les deux collègues avec qui je travaille pour l'émission de radio sont du même avis. Cette brochure ça ne va pas.
Point numéro un : pas d'alcool avant quinze ans, même tremper les lèvres, parce qu'initier les enfants à l'alcool ne les empêche pas d'en boire beaucoup plus tard. Peut-être. Mais c'est assez proche de l'extrait de La Princesse de Clèves dont je me suis servie pour un article il y a quelques temps : faire tremper les lèvres c'est répondre à la curiosité et ne pas laisser planer au-dessus des verres de vin une lueur de mystère attirante. J'ai trempé les lèvres. Plein de fois. Dans du vin, dans du champagne, dans du cidre, du rhum, de la bière. Je n'aime pas l'alcool, seulement le cidre. Je ne pratique pas de binge drinking. Je sais bien que mon cas personnel n'est pas à généraliser, mais ce n'est pas parce qu'on trempe les lèvres à huit ans que l'on devient un gros buveur plus tard, ce qui montre bien que, si tremper les lèvres n'empêche pas de boire beaucoup ça ne pousse pas non plus à la beuverie. Et j'ajouterai que des collégiens se procurent de l'alcool sans problèmes, alors vouloir leur interdire avant quinze ans relève de l'utopie et d'une naïveté dangereuse.
Quant au point numéro deux il y a deux problèmes majeurs. Premièrement les ados n'ont pas envie que des adultes écoutent leurs discussions et viennent à leurs soirées car ils y parlent de choses privées, qu'ils réservent pour leurs amis, et ont besoin de moments où ils ont l'impression de faire comme les adultes, d'être grands, de moments d'émancipation, on va dire. Ensuite s'ils veulent boire ils n'ont pas besoin d'aller en soirée. Ils peuvent dire qu'ils vont au parc rejoindre des amis, ou au cinéma, et finir dans un bar ou, mieux encore, dans la rue avec une bouteille de rhum. Ils peuvent dire qu'ils vont dormir chez des amis, que oui-oui les parents sont là, et faire la plus grosse soirée de l'année. En un mot, ils peuvent mentir. D'autant plus que les barmen et autres caissiers ne leur demande pas forcément leur carte d'identité avant de leur vendre de l'alcool (comme c'est surprenant).
Je ne sais même pas si j'ai vraiment besoin de parler du point numéro trois. La réponse des jeunes sera : je suis majeur, je fais ce que je veux, laisse-moi tranquille. Et il sera un peu tard pour leur apprendre à se responsabiliser face à l'alcool étant donné que les deux mesures précédentes se seront révélées être des échecs.
Cette brochure part d'une bonne intention mais elle n'est selon moi absolument pas réaliste. Aucun parent ne pourra la mettre en place avec son ado buveur de bière et amateur de soirées arrosées. Je n'ai pas la solution, si ce n'est prendre le problème bien avant l'adolescence, en utilisant les Noëls et tout moment avec présence d'alcool pour expliquer que l'alcool c'est bien mais que c'est un peu dangereux quand même, que c'est comme tout et qu'il ne faut pas trop en consommer. D'après moi il faudrait prendre le problème bien avant le collège et donc bien avant quinze ans.
Qu'en pensez-vous ?